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Interview de Bergeroo : 1999/2000 (2/4)

Bergeroo : « PSG-Gueugnon ? J’ai du mal à le digérer »

jeudi 14 avril 2011, par Gauthier B., Vivien B.

Bergeroo : « PSG-Gueugnon ? J'ai du mal à le digérer »

Durant plus de deux heures, Philippe Bergeroo nous a reçus à Clairefontaine, où il est désormais sélectionneur national des moins de 19 ans — après avoir été champion d’Europe avec les U17 en 2004 — et formateur des entraîneurs. Le natif de Ciboure (Pays-basque) a répondu à toutes nos questions sur son parcours au PSG — depuis son arrivée en 1998 en tant qu’adjoint d’Alain Giresse jusqu’à son départ au soir du match perdu à Sedan (5-1) —, ses relations avec les joueurs, les journalistes ou encore les supporters parisiens. Un entretien garanti sans langue de bois, et riche en anecdotes savoureuses. Deuxième partie : le repositionnement tactique de Jay-Jay Okocha ; ses choix tactiques en 1998/1999 ; la finale de la coupe de la Ligue perdue contre Gueugnon (0-2).

Interview réalisée mercredi 6 avril 2011.

Ses relations avec les joueurs

Avez-vous hésité à rester au PSG en 1999/2000 ?
Oui. Les dirigeants du Paris Saint-Germain m’avaient même surnommé « l’arlésienne ». Moi je voulais savoir avec quelle équipe j’allais repartir. Ils me disaient : « Vous signez, vous signez, vous signez… » Il faut quand même savoir que, avant que je ne prenne l’équipe, ils avaient fait venir d’autres entraîneurs, qui étaient dans les tribunes… Mais quand ceux-ci ont vu l’équipe jouer, ils ont refusé. Ils ont dit : « Sur huit matches, cela va être compliqué. »

Vous redoutiez d’être le fusible idéal ?
Oui, et puis honnêtement je ne pensais pas finir l’année. Je me suis dit : « Ils vont me virer au mois de septembre. » Et finalement le début de saison s’est remarquablement bien passé.

La première chose qui nous avait frappés à l’époque, c’est que l’ambiance était devenue très différente dès la reprise à l’été 1999.
Nous étions repartis sur de nouvelles bases. Déjà nous avions fait un bon stage. Et je voulais qu’il y ait une communion entre les familles : une fois par mois, nous nous réunissions au Camp des Loges, des gens s’occupaient des gamins, il y avait des jeux… J’avais essayé de créer quelque chose sur le plan social. Et c’était pas mal parce que tous les joueurs connaissaient les épouses de leurs coéquipiers, les enfants de leurs coéquipiers ; cela a été un plus dans les moments difficiles. Cela crée des liens. À l’entraînement, le matin, ils demandaient des nouvelles des gamins : « Et ton petiot, comment il va ? » Nous avions essayé de créer une âme.

Nicolas Laspalles, qui revenait au club après avoir été prêté six mois à Lens, disait à l’époque qu’il avait l’impression d’arriver dans un nouveau club.
Oui, et puis nous nous disions les choses. Je faisais des entretiens individuels avec les joueurs, mais pas dans les bureaux : de manière informelle, à l’entraînement, sur le terrain. Nico [Laspalles] a eu un problème à un moment, il me dit : « Je ne vais pas bien ». Je lui réponds : « Mais casse-toi, prends trois jours, tu reviendras quand tu seras bien. » Peut-être qu’il a raté trois jours d’entraînement, mais parce qu’il avait des problèmes personnels. Et je préfère le laisser libre trois jours que l’obliger à venir et le trouver en difficulté. Je pense que l’intelligence émotionnelle est un facteur essentiel dans le rôle de l’entraîneur, même si cela ne garantit pas la réussite.

Bien qu’il y ait eu quelques polémiques durant la saison, elles n’ont pas fait de bruit. Comment l’expliquez-vous ?
Je discutais avec les joueurs, pour essayer d’identifier leurs problèmes. Cela n’a pas toujours été très facile, mais au moins nous avions une discussion. Après nous nous revoyions, nous étions un peu moins en désaccord, puis nous nous revoyions une troisième fois. (sourires) Mickaël Madar je l’ai croisé récemment, il voulait passer ses diplômes d’entraîneur ; il m’embrasse, il m’appelle. Il m’a gavé des fois ! Et moi aussi je l’ai gavé, parce qu’il voulait qu’on joue long. Il disait qu’on jouait trop au ballon. Alors des fois il rentrait dans les vestiaires à la mi-temps et il disait : « Filez nous des ballons, à nous devant. » Ce n’était pas notre jeu. C’était compliqué, mais il nous a rendu service. Il marque deux buts contre Le Havre (3-0) la première année… Nous en avions bien besoin ! Je revois les joueurs de cette époque, et il n’y en a pas un qui me fait la tronche. Je viens de croiser Éric Rabesandratana. Tout le monde fait des erreurs. Ils en ont fait, j’en ai fait aussi. Est-ce qu’avec le recul je fonctionnerais de la même manière ? (réflexion) Peut-être pas. Est-ce que j’aurais gardé ma place ? C’était compliqué… (sourires)

Une autre chose atypique cette saison-là, c’est que tous les joueurs de l’effectif semblaient impliqués, et les remplaçants étaient immédiatement performants, ce qui a permis de ne pas souffrir des absences.
Une chose m’avait marqué la saison précédente : le lendemain des matches, ceux qui n’avaient pas joué avaient un entraînement spécial ; et à l’époque d’Artur Jorge, c’est moi qui travaillais avec ces joueurs-là. Je lui disais : « Coach, venez voir les joueurs à l’entraînement. » Il ne le faisait pas. En 1999/2000, le décrassage, c’étaient mes adjoints qui le faisaient avec les titulaires, et moi je passais une heure et demie à regarder l’entraînement des remplaçants. J’étais là. Les joueurs pouvaient se dire : « Il ne me fait pas jouer, mais au moins il est présent. » Ensuite, j’ai une méthode de travail : sur tous mes jeux d’entraînement, j’aligne les deux défenseurs centraux, les deux milieux récupérateurs et un attaquant. Après je complète avec d’autres joueurs : parfois je mets mon côté droit titulaire, parfois non… Donc ils ne savent jamais qui va jouer, qui ne va pas jouer. Et lors des jeux, je crée des automatismes. Ainsi ils étaient toujours intéressés, impliqués.

Certains joueurs, comme Edwin Murati ou Aliou Cissé, n’ont jamais été aussi bon qu’à cette période-là.
Ah, Murati ! Je me souviens d’un jour, avant un match, où le speaker du Parc des Princes indique la composition d’équipe : il donne le prénom, et les supporters doivent donner le nom. Le speaker : « Numéro 18, Edwin… » Et là, silence. Personne ne le connaissait. Et il me regarde, je lui dis : « Ne t’inquiète pas, ça va aller… » (rires) Aliou Cissé ? Je l’appelais mon « guerrier de lumière ». Lui m’aurait suivi partout… C’était incroyable.

Vous aviez construit des relations d’homme avec vos joueurs ?
Des relations humaines, oui. Je donnais beaucoup de ma personne. Alors des fois cela marchait, et avec certains joueurs il y a eu des conflits. Je me suis peut-être trompé sur certaines situations, mais j’ai essayé d’être le plus honnête possible. Aliou Cissé, je l’ai souvent au téléphone. Avant de partir, chaque entraîneur met un mot sur un mur du vestiaire. J’avais écrit une citation que j’avais lue à l’époque : « Sois comme les vagues, toujours fort face aux rochers. » Et un jour Aliou Cissé vient me voir, il me montre son dos : il s’est fait tatouer ce que j’avais écrit ! J’ai trouvé cela extraordinaire, mais je lui ai dit : « Tu es fou. Cela t’a fait mal ? » Il m’a répondu : « Non, que du bien ! » (sourires) C’est cela qui est important, x années après : l’humain ! Tu as beau avoir eu des problèmes avec les uns ou les autres, il faut savoir être assez intelligent pour ne garder que les bons souvenirs. Chacun a une personnalité avec ses qualités et ses défauts, il faut prendre un peu de recul sur toutes ces situations.

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Philippe Bergeroo lors du stage à Orléans (1999)
Photo PSGMAG.NET

Ses choix tactiques : Okocha, le jeu offensif, la défense

L’événement de l’intersaison 1999, c’est le repositionnement de Jay-Jay Okocha, dont on ne savait pas forcément quoi faire après sa première saison…
Je me suis aperçu que, quand il était près du but, il était moins performant. Mais je voyais ses transversales, les ballons qu’il donnait dans le dos de la défense… Et quand j’ai pris connaissance de ses tests physiques… C’était un monstre, il avait les meilleurs résultats ! Donc je l’ai appelé, je les lui ai montrés et je lui ai dit : « Tu vois, tu peux jouer au milieu. » Il m’a répondu : « Coach, non, ce n’est pas possible physiquement. » J’ai insisté : « Non non, tu peux le faire. » J’avais mis Pierre Ducrocq au poste de milieu récupérateur, et Okocha milieu récupérateur très offensif.

Cela s’est passé lors du stage d’avant-saison à Orléans ?
Oui, c’est là que nous avons travaillé cette nouvelle organisation. Okocha avait le talent, il allait chercher le ballon. La seule chose, c’est qu’il fallait le faire défendre. (sourires) Nous jouions en 4-4-2, donc à la perte du ballon il devait être avec Ducrocq devant la défense. Et quand le ballon était sur le côté, si les milieux excentrés n’étaient pas revenus, c’était à eux de faire les efforts. Il me disait : « Coach, coach, toujours défendre. » (rires)

Vous avez eu besoin de le convaincre ?
(réflexion) Au départ, oui, il n’a pas trop envie de jouer à ce poste.

Parce qu’il était moins en vue ?
Non, parce que physiquement il savait que c’était le poste le plus difficile. Mais les premiers matches amicaux se sont très bien passés, et ensuite tout s’est enchaîné.

Vous aligniez deux milieux excentrés très offensifs. Cela donnait une formation très tournée vers l’attaque, ce qui n’était pas la mode à l’époque. C’était voulu de votre part ?
Oui. Je me souviens qu’on disait : « Les supporters parisiens ne doivent pas arriver en retard au stade, car ils risquent de manquer des buts. » C’était exagéré, mais c’était très intéressant. Il y avait du jeu : Laurent Robert à gauche, Ali Benarbia à droite — il avait fait une saison exceptionnelle —, Christian devant, et à ses côtés Mickaël Madar puis Laurent Leroy — qui n’a finalement pas fait la carrière que l’on pensait, à cause de plusieurs blessures, mais qui avait un très bon état d’esprit. En Ligue des champions, il rentrait et il marquait…

Christian a eu du mal à débloquer son compteur, puis il a inscrit 16 buts en 27 matches, un record [1]. Savez-vous l’expliquer ?
Non, je crois juste qu’il était bien dans le groupe. Son positionnement ? Je ne suis pas beaucoup intervenu. Simplement je lui ai toujours accordé ma confiance, même quand cela n’allait pas. Je lui disais : « Quand j’étais gardien de but, parfois j’ai fait des très gros matches, et parfois des performances beaucoup moins bonnes. Tu laisses passer… » Mais il bossait. Nous avions des séances spécifiques. Nous travaillions le matin, nous travaillions l’après-midi. Cela les gavait, certains me disaient qu’ils devaient aller chercher le pain, les gamins à l’école… Mais au final nous avons fait une très bonne saison.

En contrepartie de ce jeu offensif, vous avez eu du mal à trouver une charnière défensive stable [2].
Oui, il y avait des 4-3, des 3-2… Nous essayions de jouer avec nos qualités. Nous avons tâtonné en défense centrale. Nous cherchions quelqu’un de rapide à côté de Rabesandratana : c’était un bon joueur, mais il ne voulait pas trop sortir sur l’attaquant adverse, parce qu’il avait du mal à se retourner. Sur les balles en profondeur, nous étions souvent pris.

Bernard Lama estime qu’« avec une équipe moyenne, on a quand même réussi à terminer deuxièmes » [1]. Est-ce que cela correspond à ce que vous pensez de cette saison ?
Oui, une équipe moyenne mais avec un super état d’esprit. Je pense que tout le monde a pris du plaisir : les joueurs, les dirigeants — enfin, certains (sourires) —, le staff, le public. C’est le plus important.

La finale de coupe de la Ligue perdue contre Gueugnon

Abordons le point noir de cette saison 1999/2000 : la finale de la coupe de la Ligue perdue face à Gueugnon (0-2).
C’est quelque chose que je retiens. Quand on perd contre Gueugnon, alors que l’on arrive à gagner à Bastia — invaincu à domicile cette saison-là — une semaine après… Nous nous sommes remis en cause. Nous avons cherché ce qui s’est passé. Avec le préparateur physique, avec mes adjoints, nous avons revu les séances vidéos, et nous nous sommes demandé si tout le monde a été professionnel sur la période qui a précédé ce match-là.

On a parlé de négociations de primes avant la finale qui auraient échoué…
Mais c’est quand même une finale ! Qu’il y ait des négociations, d’accord, mais de là à perdre une finale de coupe de la Ligue… C’est détestable. Parce que vous représentez un club, vous finissez deuxièmes, vous avez la chance de peut-être — je dis bien peut-être, parce que les Gueugnonnais ont fait un très bon match — gagner la coupe de la Ligue, et pour des histoires de primes ils lâchent tout… Aujourd’hui encore j’ai du mal à le digérer. En plus je suis l’un des seuls à être montés chercher la médaille en chocolat. Les gars étaient déjà dans le vestiaire, certains n’ont pas voulu monter. Cela a été long, très long. Quand je suis monté lors de la coupe du monde 1998, je volais pour aller chercher la coupe. Là j’ai mis trois jours pour lever les pieds… C’était pénible. C’est un très mauvais moment de ma carrière. C’est pour cela que je dis que la gestion d’un groupe est très, très difficile.

Avec du recul, comprenez-vous ce qui s’est passé ?
Non, pas du tout. Je ne le comprends pas, comme je ne comprends pas l’Afrique du Sud. Je l’ai dit dans le JDD, c’était pitoyable. Quand on est dirigeant, il faut prendre ses responsabilités. À l’étranger, cela ne se passe pas ainsi.

Qu’est-ce qui a manqué justement, pour empêcher les joueurs de lâcher le match ?
Je pense qu’il fallait taper du poing sur la table. Ce n’est pas l’entraîneur qui va discuter les primes… On ne peut pas être dur avec les joueurs, et aller manger avec eux ensuite. J’ai discuté avec Didier Deschamps : en Italie, quand il y avait un problème dans le vestiaire, il appelait le président, c’est tout. Lui venait, il mettait une cartouche, et Deschamps avait juste prévenu le président.

Une réaction de la direction après ce match aurait permis de ne pas laisser les joueurs prendre de mauvaises habitudes…
Bon, cela arrive de perdre une finale. En plus les Gueugnonnais méritaient de gagner, ils avaient une très belle équipe. Loin de moi l’idée de dire qu’ils ont volé la coupe. Mais peut-être qu’au lendemain du match, il fallait convoquer toute l’équipe au siège, devant la presse, et leur demander pourquoi ils ne sont pas allés chercher leur médaille. Vous vous rendez compte ? Mais c’est honteux ! Je crois que ce sont les seuls joueurs à avoir fait cela. Nous ne sommes que deux ou trois à y être allés. Ensuite je suis allé féliciter Gueugnon dans les vestiaires, ce n’était pas facile non plus.

De votre côté, quel discours adoptiez-vous vis-à-vis des joueurs ?
L’entraîneur doit donner confiance à ses joueurs. J’ai toujours essayé sur le banc de touche d’être calme et serein, parce que si les joueurs voient que le gars est en confiance, ils sont confiants ; mais s’il stresse sur le banc de touche, ils vont stresser à leur tour. Mais dans mes causeries, dans mes interventions, c’était correct. Et quand cela chauffait dans les vestiaires, ils ne bougeaient pas. Contre Montpellier [en mai 2000], si nous gagnions, nous étions assurés d’être au moins qualifiés pour le tour préliminaire de la Ligue des champions, et derrière il restait un match pour aller directement en C1. Ce jour-là, il s’est passé des choses dans le vestiaire que les joueurs n’avaient jamais vu. J’ai eu l’impression que les mecs n’avaient pas envie, alors que cela devait être un match « à la vie, à la mort ». À la mi-temps, je rentre et je leur dis : « Vous êtes une bande de petits connards. » Voilà. Et j’ai attrapé trois bouteilles d’eau minérale, je les ai tapées sur les murs, elles ont explosé. J’ai dit : « Je me casse, on ne pourra jamais rien faire avec vous. » Et je suis sorti du vestiaire. Je l’ai fait exprès, c’était une manière de leur mettre la pression. En deuxième période, ils ont fait un match exceptionnel [victoire 3-0]. Je me souviens des interviews de deux ou trois joueurs après le match : « Mais que vous a dit Philippe Bergeroo à la mi-temps ? » Et les joueurs répondent : « Tactiquement, c’était exceptionnel ce qu’il a fait. » (rires) Je m’en souviendrai toujours… Je n’avais rien dit ! « Il nous a replacés… » Non, ils ont juste pris trois bouteilles sur la tête ! (sourires)

Cette histoire n’est jamais sortie dans la presse, alors que l’on parle souvent de taupes au PSG…
Je l’avais déjà virée la taupe. Il y avait des entraînements à huis clos lors desquels les journalistes rentraient. On lisait le compte-rendu des séances d’entraînement dans les journaux le lendemain. J’ai attrapé individuellement le responsable, et il a pris du recul. Il m’a dit : « Tu es fou, je m’en vais. » Je lui ai répondu : « Dépêche toi vite de partir. » On ne peut pas faire partie du Paris Saint-Germain et trahir son club ainsi.

Notes

[1] Source : Témoignages, 40 stars pour 40 ans de passion, Michel Kollar et Bruno Salomon.

[2] Rabesandratana a été associé d’abord à Okpara, puis à Cesar, et enfin à El-Karkouri.

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17 votes

1 commentaire a déjà été posté par nos lecteurs

  • #1

    Snow
    14 avril 2011 18:19

    C’est collector cette interview !!

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